Travailleur sans papier: montant de l’indemnité de licenciement?

L’article L. 8251-1 du Code du travail dispose : “Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France”.

Il appartient à celui qui, directement ou indirectement, emploie pour quelque durée que ce soit un étranger, de vérifier s’il est muni d’un titre de séjour(1)Cass. crim., 3 déc. 1991, n°90-86763. . Cela concerne donc tant l’employeur que le donneur d’ordre en cas de sous-traitance.

La fin de l’autorisation de travail implique que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse (Cass. soc. 1er octobre 2014, n°13-17745), sauf à ce que l’employeur ait un motif disciplinaire de rompre le contrat de travail. Dans ce cas, il est tenu de respecter la procédure disciplinaire(2)Cass. soc. 4 juillet 2012, n°11-18840, Cass. soc. 13 novembre 2008, n° 07-40689, Bull. n° 221; D. 2009. AJ 3016; RJS 2009. 77, n° 70; P. Bailly et GISTI, Le travailleur sans papiers peut-il se prévaloir des règles sur le licenciement ?, RDT 2011. Controverse 221., avec les conséquences de droit sur le sort de l’indemnité de licenciement.

Si le licenciement intervient sur le seul motif du défaut de titre de travail et dès la fin de l’autorisation de travail, la question se pose alors de déterminer le montant de l’indemnité de licenciement. Quant au quantum de l’indemnité de licenciement, le texte de l’article L.8252-2 du Code du travail est sujet à interprétation: “Le salarié étranger a droit au titre de la période d’emploi illicite :
1° Au paiement du salaire et des accessoires de celui-ci, conformément aux dispositions légales , conventionnelles et aux stipulations contractuelles applicables à son emploi, déduction faite des sommes antérieurement perçues au titre de la période considérée. A défaut de preuve contraire, les sommes dues au salarié correspondent à une relation de travail présumée d’une durée de trois mois. Le salarié peut apporter par tous moyens la preuve du travail effectué ;
2° En cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à trois mois de salaire, à moins que l’application des règles figurant aux articles L. 1234-5, L. 1234-9, L. 1243-4 et L. 1243-8 ou des stipulations contractuelles correspondantes ne conduise à une solution plus favorable”.

Le salarié étranger sans titre de travail aurait donc droit à une indemnité de licenciement au moins égale à trois mois de salaire, “au titre de la période de travail illicite”. Mais qu’en est-il lorsque l’employeur a immédiatement cessé de faire travailler le salarié dès la perte de son autorisation de travail, par exemple, en le mettant en “absence justifiée” le temps de régulariser la situation, ou en suspendant d’un commun accord le contrat de travail? Dans ce cas, il n’y a pas “travail illicite”.

La jurisprudence antérieure à 2011 montre que les juges du fond condamnent l’employeur au versement de l’indemnité de licenciement forfaitaire (qui était alors d’un mois) même dans le cas du non renouvellement de titre de séjour, le salarié ayant été régulièrement embauché. En revanche, lorsque le salarié fait l’objet d’un licenciement disciplinaire pour avoir produit des faux papiers, cela peut être qualifié de faute grave, privative des indemnités de rupture et également du bénéfice de l’indemnité forfaitaire prévue par l’article L. 8252-2 du code du travail(3)Soc. 18 février 2014, n°12-19214, Bull. n°56..

La loi de 2011 ayant porté cette indemnité forfaitaire à l’équivalent de trois mois de salaire, cette solution est-elle encore d’actualité ? En d’autres termes, un employeur de bonne foi, obligé de licencier un salarié pour le seul motif du défaut de titre de séjour, doit-il lui verser 3 mois de salaire ?(4)V. en ce sens, Cyril WOLMARK (Encyclopédie Dalloz, Travailleur étranger, n°321, septembre 2011.. Une telle solution revient à inciter les employeurs à ne plus embaucher aucun travailleur étranger, même muni d’une autorisation de travail, compte tenu du risque financier que cela représenterait en cas de perte dudit titre. Cette solution pourrait aussi pousser certaines entreprises à “trouver” des “fautes graves”  dans le seul but de se situer sur le terrain disciplinaire et ainsi de se dispenser de payer l’indemnité de licenciement, étant précisé que l’ex-salarié sans papier ne sera pas forcément en situation de se défendre puisqu’il aura déjà fort à faire pour régler sa situation administrative et trouver des moyens de subsistance.

Le texte de l’article L.8252-2 vise pourtant l’hypothèse du “travail illicite”, c’est-à-dire l’hypothèse dans laquelle l’employeur embauche un salarié d’ores et déjà sans titre de travail pour l’exploiter honteusement, non l’hypothèse du “travail licite”, c’est-à-dire celle dans laquelle le salarié régulièrement embauché et régulièrement employé perd son titre de travail en cours de contrat, voire le perd et le récupère à plusieurs reprises en raison de tracasserie administrative kafkaïenne devenue monnaie courante dans notre pays.

En effet, le défaut d’autorisation de travail peut être momentané, lié aux lenteurs administratives, et l’employeur serait alors en faute de se défaire trop rapidement de son salarié. La jurisprudence a livré quelques indications. Un arrêt non publié suggère que le défaut d’autorisation de travail s’apprécie au jour de l’entretien préalable, ajoutant que le licenciement n’est justifié qu’en raison de l’absence de production d’un justificatif du titre de séjour ou de dépôt de demande(5)Cass. Soc. 19 déc. 2007, no 06-44995, rejetant le pourvoi contre Versailles, 8 nov. 2005, RG no 05/00949.. Par conséquent, le salarié étranger, démuni momentanément d’autorisation de travail, et en mesure de produire le dépôt d’une demande de renouvellement, ne saurait faire l’objet d’un licenciement. Si l’employeur procède au licenciement dans ce cas, il court le risque de voir requalifier le licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse, de même que lorsqu’il procède au licenciement pour faute fondé sur l’absence de réponse du salarié à sa demande de justification d’un titre de travail de façon hâtive(6)Pour un exemple d’application, v. CA Paris, 14 février 2013, RG n°11/04727. La Cour d’appel de Paris, arrêt du 24 mai 2012, cité par le pourvoi n°13-17745, semble avoir vérifié ce point: alors que le titre du salarié expirait le 15 avril 2009, “il ne justifie, ni même ne prétend dans ses écritures avoir entrepris ses démarches auprès de la préfecture en temps utile, de sorte que la remise tardive de son titre le 19 mai serait imputable à l’administration. Il ne justifie pas davantage avoir informé l’employeur d’éventuelles difficultés rencontrées avec la préfecture”..

D’un autre côté, l’employeur ne peut faire travailler le salarié dépourvu de titre de travail en raison des lourdes sanctions qu’il encourt. Il a la solution de suspendre le contrat de travail ou de placer le salarié en absence justifiée, le temps pour celui-ci d’être en possession d’un titre de travail. Il n’y a alors pas de travail illégal puisque le salarié n’effectue plus de prestation de travail. Si au terme de cette période de “non travail” l’employeur finit par licencier le salarié, doit-il alors verser l’indemnité forfaitaire prévue par l’article L. 8252-2 ou seulement l’indemnité de licenciement de droit commun?

A priori, la question n’a pas été directement envisagée par les travaux parlementaires (reproduits ci-dessous).

Cependant, les amendements qui proposaient le maintien de cette indemnisation forfaitaire, y compris lorsque le salarié avait usé de faux papiers, ont été rejetés tant par la commission des lois que par l’assemblée nationale (cf. infra, les extraits reproduits des différents travaux parlementaires).

L’arrêt rendu par la chambre sociale le 4 juillet 2012 comme celui du 1er octobre 2014 n’envisagent que la question de la procédure applicable et du droit à indemnité qui en découle selon que l’on se trouve ou non sur le terrain disciplinaire, sans aborder la question du montant de l’indemnité de licenciement. Il est donc difficile de tirer une conclusion dans un sens ou dans un autre.

Un argument peut être tiré de la mauvaise transposition de la directive 2009/52/CE du Parlement Européen et du Conseil du 18 juin 2009, prévoyant des normes minimales concernant les sanctions et les mesures à l’encontre des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dite directive “sanction(7)JOUE L168 du 30 juin 2009, pp. 24-32. dont l’article 6 prévoit une présomption — réfragable ! — d’un dû correspondant à trois mois de salaire au titre du travail effectué par le salarié étranger dépourvu de titre de séjour. La directive ne mentionne en aucun cas une indemnité forfaitaire de trois mois de salaire à titre d’indemnité de licenciement, qui est un ajout du législateur français.

Il est exact de dire que la directive interdit que le travailleur étranger soit lésé. Mais elle n’impose pas de lui verser une somme excédant les salaires dues ainsi que l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement. De plus, cette fixation forfaitaire du salaire dû est rendue nécessaire dans l’hypothèse d’un travail dissimulé, lorsque, par définition, le salarié étranger aura effectué nombres d’heures non déclarées, non comptabilisés et non payées. Tel n’est pas le cas du salarié dont l’autorisation de travail expire et qui a été auparavant déclaré et régulièrement payé.

L’article 8252-2 n’a pour le moment pas fait l’objet d’une interprétation par la Cour de cassation dans la situation d’un salarié ayant travaillé légalement et qui est licencié pour défaut de titre de séjour. Cependant, imposer aux employeurs le versement d’une indemnité égale à au moins trois mois de salaire revient de fait à les sanctionner pour avoir employé légalement des salariés étrangers, envers lesquels ils sont par ailleurs tenus de ne pas faire de discrimination.

Affaire à suivre!

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EDIT du 27 mai 2013: à noter sur cette question, à la revue Droit social 2013/5, p.402, Rupture de la relation de travail du travailleur étranger en situation irrégulière, par Céline Mangematin.

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Commission des lois, séance du mercredi 15 septembre 2010, de 16 heures, compte rendu n° 89 :
Extraits des travaux parlementaires sur la loi 2011-672 :

Puis elle examine l’amendement CL 251 de Mme Sandrine Mazetier : Le licenciement d’un travailleur étranger prononcé pour présentation de faux documents dissimulant une situation administrative irrégulière ne doit pas priver le salarié étranger de l’indemnité forfaitaire prévue par le projet. M. le rapporteur. Avis défavorable. La Commission rejette l’amendement.

(à propos des retraits des aides publiques aux entreprises condamnées pour emploi d’étranger sans titre de travail) M. le ministre. Vous demandez, en somme, l’automaticité des sanctions, ce qui ne me paraît pas de bonne politique. II faut concilier la volonté d’alourdir les sanctions et celle de ne pas mettre sur le carreau tous les salariés en détruisant les entreprises. Il faut donc laisser la possibilité d’apprécier la gravité des situations.

Rapport n° 239 (2010-2011) de M. François-Noël BUFFET, fait au nom de la commission des lois, déposé le 19 janvier 2011 :

L’actualisation opérée par l’article 58 du projet de loi (devenu l’article L.8256-2 du Code du travail).

1 – Pour conformer la législation du travail aux exigences européennes, l’article 58 institue tout d’abord une présomption de la relation de travail d’une durée de trois mois au titre des arriérés de rémunération, conforme au minimum retenu par la directive.

2 – Le projet de loi profite de cette transposition pour revaloriser le montant de l’indemnité forfaitaire dans le cas de rupture de la relation de travail, laquelle n’a pas été actualisée depuis son institution par la loi n° 81-941 du 17 octobre 1981 contrairement à celle due en matière de travail dissimulé : son montant a été porté de un à six mois en 1997 (cf. loi n° 97-210 du 11 mars 1997).

En l’espèce, l’indemnité forfaitaire due au salarié illégalement employé sans titre égalera désormais trois mois de salaire.

Il est ainsi procédé à une égalité de traitement entre les travailleurs dissimulés par leurs employeurs, indemnisés forfaitairement à hauteur de six mois de salaire qu’ils soient nationaux ou non (cf. article L. 8223-1 du code du travail) et les étrangers sans titre qui pourront, à l’avenir, prétendre à une indemnisation forfaitaire équivalente (trois mois au titre des arriérés de salaires + trois mois pour rupture du contrat de travail).

 
Cette entrée a été publiée dans Droit social, et marquée avec Article L.8252-2 du Code du travail, Cass. soc. 1er octobre 2014 n°13-17745, Cass. soc. 4 juillet 2012, Cass. soc. 4 juillet 2012 n°11-18840, Défaut de titre de travail, Etrangers, Indemnités de licenciement, n°11-18840, Salarié étranger, Salarié sans papiers, Travail illégal, le par matringe.
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References

References
1 Cass. crim., 3 déc. 1991, n°90-86763.
2 Cass. soc. 4 juillet 2012, n°11-18840, Cass. soc. 13 novembre 2008, n° 07-40689, Bull. n° 221; D. 2009. AJ 3016; RJS 2009. 77, n° 70; P. Bailly et GISTI, Le travailleur sans papiers peut-il se prévaloir des règles sur le licenciement ?, RDT 2011. Controverse 221.
3 Soc. 18 février 2014, n°12-19214, Bull. n°56.
4 V. en ce sens, Cyril WOLMARK (Encyclopédie Dalloz, Travailleur étranger, n°321, septembre 2011.
5 Cass. Soc. 19 déc. 2007, no 06-44995, rejetant le pourvoi contre Versailles, 8 nov. 2005, RG no 05/00949.
6 Pour un exemple d’application, v. CA Paris, 14 février 2013, RG n°11/04727. La Cour d’appel de Paris, arrêt du 24 mai 2012, cité par le pourvoi n°13-17745, semble avoir vérifié ce point: alors que le titre du salarié expirait le 15 avril 2009, “il ne justifie, ni même ne prétend dans ses écritures avoir entrepris ses démarches auprès de la préfecture en temps utile, de sorte que la remise tardive de son titre le 19 mai serait imputable à l’administration. Il ne justifie pas davantage avoir informé l’employeur d’éventuelles difficultés rencontrées avec la préfecture”.
7 JOUE L168 du 30 juin 2009, pp. 24-32.

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